Le fond du trou – A.I. de février

tiniak par Tim O'Sullivan, photographe; quand tiniak se la pète; conduite à droite; UK for free; pagan poetry;
poLétiquement vôtre, tiniak..

LE FOND DU TROU

Une saynète de tiniak.

Livret : Photonanie.
Mise en scène : David Filoqueur.
Décors et scénographie : Falbala Rache.

Publication du 3 février 2024.
©2024 DUKOU ZUMIN &ditions – Collection “Les agendistes aux Folies”


ACTE I – Scène 1


Les personnages :
Eddie D’Ascalie, le narrateur.
Christophe DeVraap, le secrétaire-médical.
Alban Tripotin, le docteur.
Les Jouffion, trio familial.
Prudence Béchut, Madame Le Maire.


Lever de rideau sur un fond de décor partiellement éclairé, ne laissant entrevoir, de prime abord, qu’une canopée nimbée de lueurs matutinales.

D’Ascalie (ampoulé) : Dans la forêt lointaine, on entend le coucou, pas de messe vaudou ni de loup qui sommeille. Pour l’heure, il fait plus doux sur la place d’un bourg où la vie se réveille…

La lumière se fait sur le décor villageois.
Premières âmes à venir auprès de la fontaine dite « de Cuverville », le docteur Alban Tripotin, flanqué de son secrétaire-médical Christophe DeVraap, tous deux jeunes et fringants citadins nouvellement installés dans le village de Sucet-en-Auge – canton de Piétan-Carpe.

DeVraap (sortant du cabinet médical une chaise pailletée à la main et s’adressant au docteur, déjà sur le trottoir) : Tu parles d’une guigne, cette affliction endémique ! C’est vraiment pas une sinécure que devoir, chaque matin, vider la salle d’attente de ses chaises. Tout ça pour des peigne-culs au popotin chatouilleux !

Tripotin (s’étirant et rajustant son gilet sur son gentil bedon) : Mon vieux, je t’en conjure ! Bien que nous ayons gardé les mêmes cochonneries confinées durant notre internat, je te prie d’observer le vouvoiement quand tu t’adresses à moi en public. Question d’autorité, comprends-tu ?

DeVraap disparaît sans mot dire à l’intérieur et reparaît une autre chaise à la main qu’il empile sur la précédente, maugréant par borborygmes.

Tripotin (s’accoudant à une première pile de six chaises) : Et puis – mais dois-je te le rappeler, Christophe ? c’est précisément au motif de cette singulière maladie que nous avons obtenu de prendre ici le bon air, le pouls de l’époque et, qui plus est, pignon sur rue à moindre frais.

DeVraap (aigre-doux) : Oh, ça ! mais j’entends bien, cher docteur, vous être en tout point agréable et comme tinte l’heure, au timbre du clocher, m’enjoignant d’ouvrir vostre officine de louable conseil en noble médecine, sous son fanal ponceau(s’adressant au public) détail, à mon avis pas du meilleur effet dans ce bourg affligé, en outre, de cossus relents de conservatisme atavique.

Son très particulier consort de nouveau disparu à l’intérieur, le docteur lève les yeux au ciel. Entre, côté jardin, un couple de personnes âgées tenant une fillette, chacune par la main.

Tripotin (pour lui-même… et le public à l’occasion) : Ah, sacré DeVraap ! Il n’a pas son pareil pour “me la bailler belle”, comme il sait me la jouer; avec le classicisme exacerbé qui “fait le sel” de sa chère “faconde”. Le bougre !

Cessant de faire des guillemets avec, le docteur salue des deux mains le trio qui s’engouffre, sans lui rendre son salut, dans la boulangerie quasi mitoyenne de son cabinet. DeVraap revient, une dernière chaise sous le bras.

Tripotin : Les Joufflion viennent à l’instant d’entrer chez la boulangère.

DeVraap : Avec la petite ? De quoi avait-elle l’air ?

Tripotin : Pas folichon-folichon, pour tout dire.

DeVraap : Mouef… Comme tous les gamins qui vont à l’école en devant y rester debout, quoi. Depuis septembre, tu penses… Euh, vous pensez bien, docteur, quelle fatigue ils ont pu accumuler, les pauvres petits culs !

Tous deux se tiennent un instant silencieux, de part et d’autre de l’entrée du cabinet médical, ornée de son enseigne, arborant un caducée argent sur fond rouge.

D’Ascalie (injonctif) : Allez, hop ! Pop’, pop’, pop ! Hue, las…

A cet ordre, peu à peu, des passants font ce qu’ils ont à faire et passent. Parmi eux, fendant la place vers le cabinet, trottine Madame Le Maire, l’embonpoint compressé dans son ensemble jupe-tailleur vert bouteille, aux coudes rapiécés de cuir. Prudence Béchut les approche en extirpant un papier de son cartable usé…

Madame Le Maire (poussive) : Messieurs ! Messieurs ! Ah, ‘core heureux que je vous trouve avant l’arrivée de votre clientèle, dites voir. Bonjour, messieurs. J’ai là un courrier de la Préfecture, rapport au rapport que nous avons rédigé avec votre aide durant le dernier Conseil municipal de l’autre jour soir.

DeVraap (faussement emphatique) : Déjà ? En voilà, une bonne surprise, dites donc, Madame Le Maire !

Tripotin (autoritaire, du coup) : Merci de prendre place à votre poste, mon cher DeVraap. Accueil de patientèle oblige… D’ici là, je me charge de voir de quoi il retourne avec Madame Le Maire.

DeVraap s’exécute sans broncher.

Tripotin : Bonjour en retour, Madame Le Maire. Vous semblez vous porter à merveille, ce matin.

Madame Le Maire : Ah, oui ? N’allez pas croire ! J’ai les jambes comme des jambons et des douleurs dans les flancs à trop dormir sur le côté.

Tripotin : J’en suis navré, Prudence, croyez-le bien. Et votre mari, monsieur Béchut, comment va-t-il ?

Madame Le Maire : Oh, mais pour lui, c’est que c’est pire ! Pensez donc : un agriculteur sans tracteur, c’est rien moins qu’un piéton…. (et plus bas) : … qu’il en est même pris de constipation, dites voir un peu ! Alors, pour pas aller, non ! ça va pas ! Il est au fond du trou, même, je dirais.

Tripotin : Comme je le plains. Comme je le plains… Mais vous disiez, donc ?

Madame Le Maire : …Avoir la réponse de Madame Le Préfet, oui, oui. Ah ! et aussi, je vous ai rapporté la copie de notre courrier, car votre secrétaire y a fait une coquille qu’il vaudrait mieux corriger. Et puis veiller à ce que ça ne se reproduise plus, à l’avenir, dites. S’il vous plaît docteur…

Le docteur se saisit des feuillets et les examine.

Tripotin : Une coquille dites-vous ? A vrai dire, monsieur Christophe DeVraap en est hélas assez coutumier… (relevant l’erreur, le nez dans le courrier) : Ah, oui, quand même “à l’affection de Madame La Perfect”, c’est pour le moins… malicieux… Je veux dire, maladroit.

Madame Le Maire (l’air entendu) : Le personnel, hein ? C’est plus ce que c’était.

Tripotin : A vrai dire, Madame Le Maire, pour ce qui est de mon secrétaire, les fautes DeVraap, c’est presque une marque de fabrique, chez lui.

Madame Le Maire (interloquée) : Pardon ?

Tripotin : Laissons cela, Madame Le Maire. Voyons plutôt…

Madame Le Maire : Eh bien, mais voyez-vous même. C’est bien ce qu’on craignait, ‘pas ? La quarantaine ! Ils suivent vos recommandations à la lettre – c’est le cas de le dire ! et nous assurent de “tout mettre en œuvre pour placer le canton sous quarantaine sanitaire, dans les meilleurs délais”, qu’ils disent, là.

Tripotin : Il fallait s’y attendre, en effet. Prudence est mère de sûreté.

Madame Le Maire : De Sucet, vous voulez dire…

DeVraap fait de nouveau son apparition sur le pas de porte, les poings sur les hanches.

DeVraap (limite sardonique) : Alors, alors, ces messieurs-dames ! Ça nous dit quoi de bon, tout ça ? Hin, hin !

Madame Le Maire (quasi catatonique) : La quarantaine ! Voyez-vous ça ? Ah, fichtre ! Fichtre ! La quarantaine pour tout le canton !

DeVraap : Oh, pas de quoi en tomber sur le cul ! Il fallait s’y attendre…

Tripotin (réprobateur) : Un peu de mesure, DeVraap, je vous prie. La situation est tout de même des plus inconfortables.

DeVraap : Ah, ça oui ! Déjà qu’on n’a plus de chaises…

Tripotin (cassant) : DeVraap !! Tenez, prenez plutôt ces courriers pour archive. Et notez la correction portée par Madame Le Maire, sur l’exergue. Merci de faire le nécessaire, Christophe.

Madame Le Maire : N’empêche, la quarantaine ! C’est fort de café, vous ne croyez pas, docteur ? (à l’endroit du public) Je sais pas vous, mais moi, ça me troue…

Tripotin (didactique) : C’est que, voyez-vous chère Prudence, quand bien même il ne se serait agi que d’une simple infection, la quarantaine s’imposerait déjà, afin de circonscrire la bactérie, pour la combattre et puis l’éradiquer. Mais nous avons ici fort à faire, avec une forme incongrue d’affliction.

Madame Le Maire : D’affection, vous voulez dire…

Tripotin : Non, non. Je dis bien : d’affliction. Vos administrés sont atteints de kathisophobie, un mal qui les afflige parce qu’il leur inflige de ne plus pouvoir s’asseoir. Son origine n’est ni microbienne, ni bactérienne. Nous avons donc à lutter contre un mal bien plus sournoisement invisible : une maladie de l’esprit ou de l’âme, comme vous voudrez.

Madame Le Maire : Ah ça mais, je ne veux rien de tout ça, je vous assure, docteur. C’est comment on va s’en sortir, que je veux, moi.

Tripotin : Et moi, je vous assure y employer dès à présent toute l’étendue du savoir médical dont je dispose, Madame Le Maire.

DeVraap (demeuré à l’affût dans l’embrasure) : Pour sûr, le mieux serait de pouvoir nous asseoir là-dessus au plus vite. Le problème, c’est qu’il faut parvenir à vous assouplir… vous faire plier, en quelque sorte. Car c’est bien là que le bât blesse : votre incapacité à fléchir constitue votre affliction. Le manque de souplesse, de largesse d’esprit, d’ouverture, quoi… Voilà, ce dont votre monde souffre, Madame Le Maire.

Madame Le Maire : Ah, messieurs ! Messieurs ! J’ai bien peur de n’y rien comprendre. Je crois même que je vous comprends de moins en moins, tiens !

Tripotin : Ce qu’il faut vous comprendre…

DeVraap (sur sa lancée) : C’est que, voyons… Allons, allons, Madame Le Maire ! Il doit bien se trouver, parmi vos administrés… voire, que l’ensemble de votre communauté se compose de ces culs-terreux, ces culs-bénis, droits dans leurs bottes, pour certains affublés de culs-de-bouteille au-delà desquels ils ne voient pas plus loin que les ailes étriquées de leurs naseaux, engoncés qu’ils sont dans les roides limites de leurs prés carrés, de leurs frigidités contrites, incapables d’empathie ni de compassion pour ceux qu’ils font ployer sous des loyers rigides, de froides injonctions, des tâches ingrates, des charges insupportables, que sais-je encore !?! Or il s’agit enfin, ni plus ni moins, de se bouger le fion pour infléchir cette situation. Et de leur dire à tous : plein le cul ! ras le col ! au cul, la balayette !…

Tripotin (parvenant à en placer une) : Disons, pour faire simple, chère Prudence, qu’aux rigueurs de cette vigoureuse affliction, nous opposerons les meilleures solutions qu’offrent aujourd’hui les tenants d’une médecine moderne, douce et bienveillante.

Madame Le Maire : Ah ? Bon… Si vous le dites, docteur. Je vous fais confiance, pour sûr. Si ça peut nous tirer d’affaire, je m’en remets à vos lumières et saurai entraîner avec moi l’ensemble de mes concitoyens qui ne manqueront pas de se plier à toutes vos exigences.

DeVraap (pétaradant) : Ah bah, voilà, Prudence ! Ça, c’est un bon début !!

Il tourne les talons et s’enfonce dans le couloir du cabinet en fredonnant.

DeVraap : Pliez ! Pliez, l’escarre, Paulette… 🎶

Les passants se figent. Le noir se fait autour de Prudence et Tripotin, immobiles jusqu’à extinction complète du dernier faisceau lumineux sur leurs visages. Le rideau tombe.

D’Ascalie (désinvolte) : Pour qui cela pourrait avoir une quelconque forme d’intérêt, sachez que nous aurons, à suivre, une messe vaudou, une consultation médicale en mairie et l’aimable participation de Le Loup au final sur la place du village.


Si la suite vous tente,
>c’est par ici<


Rappel des consignes agendaires pour l’atelier d’écriture mensuel, telles que fomentées par et chez Photonanie :
Composer un extrait de pièce de théâtre avec un minimum de didascalies pour se situer.

  • Photonanie aimerait aussi y voir un zeugme (le mot est bizarre mais c’est assez simple. Pour vous guider, je vous propose un exemple de Pierre Desproges: Après avoir sauté sa belle-sœur et le repas du midi, le Petit Prince reprit enfin ses esprits et une banane.) 😉
    D’autres idées ici.
  • Et puis aussi y glisser les mots : ponceau, sardonique, kathisophobie et fichtre.

Si cela vous tente : écrivez, publiez votre texte en ligne puis déposez un lien vers votre contribution, en commentaire sur le post dédié à l’Agenda Ironique du mois de février 2024, chez Photonanie.

21 commentaires

  1. Oh ! Recevez toute mon admiration, cher Tiniak pour cet acte si bien mené…

    Tant de verve et d’imagination, j’en suis (contrairement aux protagonistes), sur le c… !

    Je ne sais pourquoi, mais j’ai pensé à Jouvet et à « Knock » en te lisant…

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  2. Théâstralement réussie, cette pièce qui p’rend la monnaie à madame Le Maire et sous-perfect d’une faute deVraap.
    Mais des escarres sans chaises… ??? J’ai pensé au droit de Charles sous Henri IV…

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  3. Voilà, une forme d’écriture qui n’est pas dans la veine de la versification mais qui garde les jeux de mots, un humour qui dénonce les absurdités et des personnages absolument délicieux dans leur caractérisation qu’on imagine fort bien. Dompter l’ironie te semble une simple formalité. Les rouages du théâtre sont présents. Comme souvent, j’ai besoin de deux lectures pour repérer toutes tes subtilités 🙂 toi le jongleur de mots en équilibre sur la ligne d’écriture:)

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    • Hé hé ! Bien content d’entendre les échos de ton rire venir jusqu’à moi, Photonanie Chère.
      En revanche, ce blog n’ayant pas vocation à recueillir trop de proses, la suite (deux autres saynètes) sera publiée dans la catégorie « impromptus » de mon blog générique, sur CanalBlog.
      Je t’en tiendrai informée, sois-en sûre 😉
      A très bientôt plus vite que ça, ton niak-ouais !

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